Les océans profonds ne sont pas suffisamment pris en compte dans les négociations mondiales

Les océans profonds ne sont pas suffisamment pris en compte dans les négociations mondiales

En absorbant une large part de la chaleur et du CO2 émis par les activités humaines, les couches profondes de l’océan, situées au-delà de 200 mètres, atténuent le réchauffement climatique global.

Cette régulation s’exerce toutefois aux dépens des écosystèmes marins qui subissent de fortes perturbations environnementales à mesure que l’océan tempère les effets du changement climatique.

Une équipe franco-américaine vient de préciser les dangers que les perturbations du climat et l’exploitation des ressources marines font peser sur l’océan profond. Son objectif : inciter la communauté internationale à intégrer ce vaste territoire et les écosystèmes qu’il abrite dans les scénarios d’adaptation au changement climatique.

On n’y pense pas souvent mais 90 % des zones habitables de notre planète se situent à plus de 200 mètres sous la surface des océans. Dans le contexte actuel de changement climatique, cette vaste région sous-marine joue un rôle essentiel en captant près de la moitié du CO2 rejeté chaque année dans l’atmosphère par les activités humaines.

En emmagasinant l’excès de chaleur lié à l’augmentation de l’effet de serre, l’océan profond limite également le réchauffement des terres émergées. Mais, comme le rappelle Nadine Le Bris, chercheuse en écologie marine au Laboratoire d’écogéochimie des environnements benthiques, de Banyuls-sur-Mer et coauteure, cette fonction régulatrice n’est pas sans conséquence pour le milieu marin : 

« Outre l’augmentation de la température globale des océans, celle-ci se manifeste par une acidification et une désoxygénation progressive de la colonne d’eau ainsi que par une modification des apports de nutriments sur les fonds marins jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur ».

Les fonds océaniques de plus en plus menacés par les activités humaines

À travers cet article coécrit avec Lisa Levin, directrice du Centre de biodiversité marine et de conservation à San Diego, l’enseignante-chercheuse veut alerter la communauté internationale sur la nécessité d’étudier à grande échelle les écosystèmes marins profonds afin de mieux prédire leurs réactions face au changement climatique en cours.

Car, s’il est tentant de considérer le milieu océanique comme un réservoir de carbone stable, il s’agit en réalité d’un système très réactif et complexe où se côtoient micro-organismes capables de transformer les formes les moins dégradables du carbone ou d’en produire par voie chimiosynthétique, communautés de poissons abyssaux ainsi que toute une faune benthique spécialement adaptée aux grandes profondeurs comme les coraux d’eau froide formant des récifs. 

« Nous n’avons qu’une vision très parcellaire de la sensibilité de ces communautés d’organismes aux changements environnementaux, souligne Nadine Le Bris. Or, les réponses qu’ils seront en mesure de fournir pour y faire face risquent d’entraîner toute une cascade d’effets sur des écosystèmes océaniques interconnectés ».

Comprendre ces effets est d’autant plus crucial que le développement des activités humaines vers les plus grandes profondeurs s’intensifie. Les perturbations provoquées localement par l’exploitation offshore des hydrocarbures ou la pêche en eau profonde nécessitent la mise en place d’études d’impact environnemental et d’aires marines à même de protéger cette biodiversité encore largement méconnue.

Les projets d’exploitation de gisements de minerais (cuivre, nickel, cobalt, terres rares, etc.) reposant sur le plancher océanique pourraient quant à eux générer des perturbations inédites sur les écosystèmes de l’océan profond.

Le fait que ces ressources minérales sont pour l’essentiel localisées en dehors des eaux territoriales des États qui prennent part aux négociations sur le climat n’incite pas ces derniers à s’intéresser aux impacts cumulés de leur exploitation et du changement climatique. 

« Faire en sorte que les fonds marins soient mieux pris en compte dans ces processus de décisions internationaux implique d’accroître rapidement notre connaissance scientifique des écosystèmes de grande profondeur tout en aidant à la création d’outils juridiques en mesure de les protéger efficacement », conclut Nadine Le Bris.

Source : futura-sciences.com

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