En route pour l'Enfer ! La mission BepiColombo part pour un voyage de 7 ans vers la brûlante Mercure

En route pour l'Enfer ! La mission BepiColombo part pour un voyage de 7 ans vers la brûlante Mercure

Le 19 octobre 2018 au soir, la sonde BepiColombo s’est élancée vers une planète quasi inconnue du système solaire : Mercure. La mission la plus périlleuse jamais lancée par l’Agence spatiale européenne.

Attention, casse-tête ! BepiColombo "c'est la mission d'exploration la plus compliquée que l'Agence spatiale européenne (ESA) ait jamais organisée", confie Pierre Bousquet, planétologue au Centre national d'études spatiales. Davantage encore, selon lui, que Rosetta qui avait pourtant tenu le monde en haleine en faisant atterrir un robot sur la comète "Tchouri" en 2014…

Après plusieurs reports et vingt ans de préparation, la sonde conçue par l'ESA et l'Agence spatiale japonaise pour près de 1,3 milliard d'euros, a enfin décollé. Le 19 octobre 2018, depuis Kourou (Guyane), une fusée Ariane-5 a propulsé hors de l'atmosphère l'imposant vaisseau de plus de 4 tonnes et 6 mètres et demi de haut. Objectif Mercure, la plus petite planète du système solaire, qui est aussi la plus proche du Soleil. Elle se situe à 58 millions de kilomètres de notre étoile, contre 149 millions de kilomètres pour la Terre.

Mercure est également la moins connue et la plus mystérieuse de toutes ! Seules deux missions de la Nasa l'ont en effet visitée par le passé : Mariner 10, qui l'a survolée en 1974 et 1975, et Messenger qui a orbité autour d'elle entre 2011 et 2015. Bien peu au regard de la quarantaine de missions martiennes… Car atteindre Mercure et résister à ses conditions dantesques est infiniment plus complexe que de rallier la planète Rouge.

Un bouclier thermique de 200 kg

"Il est très difficile d'explorer cette partie du système solaire et de placer une sonde aux abords de Mercure", explique François Leblanc, du Laboratoire Latmos. Le planétologue fait partie de la centaine de scientifiques français associés à la mission BepiColombo - en hommage à l'ingénieur et mathématicien italien Giuseppe "Bepi" Colombo, un des principaux architectes de la mission pionnière Mariner 10.

Les défis à relever sont légion. "Le premier d'entre eux concerne la mise en orbite, qui nécessite des manoeuvres extrêmement délicates et énormément d'énergie", précise l'expert. En raison de sa masse peu importante, Mercure n'exerce en effet qu'une très faible force gravitationnelle en comparaison de celle du Soleil. Conséquence : pour être capturée par la gravité de Mercure et résister à l'attraction de notre étoile, BepiColombo ne pourra pas suivre un chemin direct. Elle devra faire moult détours, afin d'adopter la même orbite et la même vitesse de révolution que sa cible. BepiColombo affichera 8,9 milliards de kilomètres au compteur… et n'arrivera à destination qu'au terme d'un voyage de sept ans !

Son calvaire ne fera que commencer… Car les conditions posent elles aussi d'énormes difficultés. On y relève la plus grande amplitude thermique du système solaire, 430 °C en journée et -180 °C côté nuit ! Le flux de particules énergétiques y est par ailleurs dix fois plus intense, le rayonnement infrarouge étant lui-même vingt fois plus important. Un véritable "barbecue" auquel les instruments scientifiques devront résister. Fabriqué par le Latmos, le spectromètre ultraviolet Phebus a été ainsi conditionné pour survivre à cet enfer. Conçu pour étudier sa très fine atmosphère - nommée "exosphère" - "il n'emmagasine qu'un millionième des rayonnements réfléchis, afin de ne pas être aveuglé ni détruit par la chaleur et les réactions d'oxydation", indique François Leblanc. 

"Les équipements des véhicules ont nécessité eux aussi des choix inhabituels et de longues années de recherche et développement", poursuit Pierre Bousquet, qui coordonne les contributions françaises à la mission BepiColombo. Les tests préliminaires ont montré, par exemple, que les panneaux solaires servant à alimenter les moteurs ioniques ne résisteraient jamais à pareil environnement. Exposées à de tels niveaux de radiations, les colles se résorberaient et les cellules photovoltaïques seraient complètement grillées bien avant d'arriver à destination. Les panneaux seront donc progressivement inclinés, de façon à absorber les rayonnements sous un angle de 10 degrés pendant les saisons les plus chaudes et capter uniquement 17 % de la lumière qui serait reçue perpendiculairement.

Pendant son périple, BepiColombo sera également protégée par un bouclier thermique de 200 kg comportant sept couches de titane et pouvant supporter des températures externes de 450 °C. Quand le vaisseau atteindra la planète en 2025, ce module et la coiffe seront libérés, les engins robotisés se placeront chacun sur une orbite différente. Le premier gravitera autour du corps rocheux sur une trajectoire basse et légèrement elliptique (entre 500 et 1.500 km). Il sondera l'intérieur, la surface et l'exosphère de la planète en utilisant onze instruments. Développé par son homologue japonais, le second suivra une orbite beaucoup plus elliptique (entre 600 et 12 000 km de la surface). Il analysera tout particulièrement les particules chargées du vent solaire ainsi que le champ magnétique de Mercure.

Un champ magnétique aux origines inconnues

"L'étude de ce champ magnétique est un des objectifs principaux de la mission", souligne Benoît Langlais, du laboratoire de planétologie et géodynamique de l'université de Nantes. Avec la Terre, Mercure est en effet la seule planète rocheuse du système solaire à posséder un champ intrinsèque, Mars et Vénus en étant dépourvues. Il est moins intense que celui de la Terre (500 nanoteslas, soit 1 % de son intensité). Mais il s'agit également d'un champ dipolaire, formant d'immenses boucles magnétiques orientées comme un aimant selon un axe nord-sud. Son existence a été découverte dans les années 1970 par Mariner 10, suscitant d'épineuses questions. Quelle est son origine ? Comment une planète aussi petite et tectoniquement inactive aujourd'hui a-t-elle pu maintenir un tel phénomène pendant des milliards d'années ? 

"Les réponses gisent dans les profondeurs de Mercure. Elles tiennent probablement dans la composition atypique et la taille surdimensionnée de son noyau, où les mouvements de couches métalliques liquides produiraient un effet dynamo. Mais c'est pour le moment un mystère", reconnaît Benoît Langlais. Pour le résoudre, il est essentiel de cartographier les lignes de champ autour du corps céleste, ce que Messenger n'a fait que pour l'hémisphère nord. Il faut également distinguer le champ intrinsèque des phénomènes magnétiques engendrés par le vent solaire, si puissant dans cette région.

Source : sciencesetavenir.fr

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